Fédération des Associations Réflexion-Action, Prison et Justice

Les détenus sourds-muets ne doivent pas subir un isolement social complet en prison

Octobre 2017


5 octobre 2017, Ābele c/ Lettonie req. n°60429/12 et 72760/12 (en anglais)


« En plus de l’espace personnel réduit mis à sa disposition, le requérant allègue (…) qu’il ne lui a pas été possible de s’engager dans des activités pertinentes en raison de son handicap, et qu’il ne lui a pas été possible de se faire correctement comprendre ni du personnel pénitentiaire, ni des autres détenus. Il a ressenti un isolement social » (§ 70).

Condamné pour meurtre aggravé à quinze années de détention, M. Ābele a été détenu dans la prison de Brasa dans plusieurs cellules collectives différentes pendant plus de quatre années. On sait depuis l’arrêt de Grande Chambre Muršić c/ Croatie du 20 octobre 2016 (req. n° 7334/13) « que l’exigence de 3 m² de surface au sol par détenu en cellule collective doit demeurer la norme minimale pertinente aux fins de l’appréciation des conditions de détention au regard de l’article 3 de la Convention » (§ 105). Par ailleurs, lorsqu’un détenu dispose dans la cellule d’un espace personnel compris entre 3 et 4 m², la violation de l’article 3 pourra être retenue « si le manque d’espace s’accompagne d’autres mauvaises conditions matérielles de détention, notamment d’un défaut d’accès à la cour de promenade ou à l’air et à la lumière naturels, d’une mauvaise aération, d’une température insuffisante ou trop élevée dans les locaux, d’une absence d’intimité aux toilettes ou de mauvaises conditions sanitaires et hygiéniques » (§§ 106 et 139).
Appliquant à la lettre cette ligne jurisprudentielle, la Cour condamne ici l’Etat pour violation de l’article 3, pour la période de plus d’une année pendant laquelle l’intéressé a été incarcéré avec plusieurs co-détenus, en ne bénéficiant alors que d’un espace personnel réduit de 2,74m2. Pour la période de plus de deux années pendant laquelle il a pu bénéficier d’un espace compris entre 3 et 4 m2, la Cour examine (suivant en cela la méthode posée par l’arrêt Muršić) la qualité de la ventilation et de l’air, en adéquation avec la température de la cellule, la possibilité d’utiliser les toilettes de manière privative, ainsi que les équipements sanitaires et hygiéniques de base (§ 69). En l’espèce, l’examen du cas concret s’avérait particulier, parce que l’intéressé est sourd-muet de naissance, qu’il ne maîtrise que très partiellement le langage des signes, et qu’il n’a pu disposer d’un dispositif auditif performant durant sa détention (§§ 5 et 72). Comme elle l’a déjà fait pour les détenus malades (Kudla c/ Pologne, 26 octobre 2000, req. no 30210/96), les détenus handicapés physiques (Price c/ Royaume-Uni, 10 juillet 2001, req. n° 33394/96) ou mentaux (Keenan c/ Royaume-Uni, 3 avril 2001, req. n° 27229/95), la Cour met en avant le caractère « particulièrement vulnérable » (§ 69) de M. Ābele pour construire son raisonnement. Puisqu’il lui était pratiquement impossible de se faire comprendre, tant du personnel pénitentiaire que des autres détenus de l’établissement, le requérant n’a pu participer à des activités individuelles ou collectives pendant sa détention, ce qui a abouti à générer chez lui un sentiment d’ « isolement social » (§§ 69 et 70). Or on sait que la Cour juge qu’en prison un « isolement sensoriel complet combiné à un isolement social total peut détruire la personnalité et constitue une forme de traitement inhumain qui ne saurait se justifier par les exigences de la sécurité ou toute autre raison » (Öcalan c/ Turquie, 12 mai 2005, req. n° 46221/99, § 191). Le constat de violation de l’article 3 de la Convention apparaissait donc ici inévitable.

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