Fédération des Associations Réflexion-Action, Prison et Justice

Prisons : no more brick in the wall*

Blog Janvier 2021 - FRANCE

Le Ministère de la Justice a récemment publié les séries statistiques des personnes sous main de justice en France entre 1980 et 2020. Une des informations majeures : on incarcère de plus en plus. En effet, depuis 1980, le nombre de personnes écrouées est passé de 36 900 à 82 300 en 2020, dont 70 700 personnes détenues, le nombre record de 71 828 personnes incarcérées ayant été atteint en avril 2019. Il faut dire que la France est régulièrement montrée du doigt pour ses conditions de détention indignes. En janvier 2020, elle a été condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans un arrêté historique qui lui recommande de prendre des mesures pour en finir avec la surpopulation carcérale.

À travers les siècles, la France a développé un parc immobilier pénitentiaire composé principalement d’établissements de grande taille. Parmi les 186 prisons actuelles, 130 ont une capacité d’accueil de plus de 100 détenu.e.s. Les prisons d’échelle modeste construites au 19ème siècle sont lentement mais sûrement remplacées par des établissements de grande taille. Ces « prisons villes » dominent aujourd’hui le paysage carcéral, tandis que d’autres établissements de taille plus modeste, que nous évoquerons ultérieurement, peinent à se développer.

Un manque de cohérence dans les décisions politiques

Comme le décrit Manu Pintelon dans son dernier blog, le gouvernement belge poursuit deux objectifs qui semblent incompatibles : l’agrandissement du parc carcéral avec la construction de nouveaux établissements de plusieurs centaines de places, tout en faisant la promotion de petites maisons de détention destinées à certains publics (les jeunes de 18 à 25 ans et les mères avec enfants).

De la même manière, en France, les décisions politiques en ce qui concerne l’incarcération paraissent parfois incohérentes. D’un côté, le nouveau Ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, invite à développer les alternatives à l’incarcération, notamment avec le recours à la détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE) pour les peines inférieures à 6 mois, ainsi qu’aux mesures alternatives à la prison dès l’audience pour les peines de moins d’un an. Le Garde des Sceaux rappelle une nouvelle fois que la prison, telle que mentionnée dans la loi [1], ne doit pas être la peine de référence en matière délictuelle, et que d’autres mesures pour éviter la détention doivent être développées.

D’un autre côté, le Gouvernement prévoit, dans sa loi de programmation et de réforme pour la Justice 2018-2022 [2], la construction de 7 000 nouvelles places d’ici 2022 puis de 8 000 places supplémentaires, soit au total 15 000 places qui s’ajouteront aux 60 626 places actuelles. Cette loi poursuit les tentatives d’absorption de la surpopulation carcérale engagée depuis les années 1980 et le plan Chalandon qui promettait en 1988 la construction de 13 000 places supplémentaires. Mais force est de constater que plus on construit, plus on incarcère : la courbe de l’augmentation des places de prison ne faisant que suivre celle de l’augmentation des incarcérations sans jamais la rattraper. Nous constatons aujourd’hui que les paroles prononcées en 1819 par le Duc Decaze, « à mesure que les constructions s’étendent, le nombre de prisonniers augmente », sont toujours valables. Les conditions de détention ne sont pas satisfaisantes, marquées par des difficultés pour les personnes détenues à maintenir des liens avec leurs proches, le manque d’intimité, ou encore l’accès limité aux postes de travail. Ce qui engendre inévitablement des relations conflictuelles entre les personnes détenues et les personnels pénitentiaires. De plus, le financement de nouvelles places de prison n’améliore pas nécessairement les conditions actuelles de détention surtout si elles sont construites dans la lignée des précédentes, loin des villes, sous la forme de grands ensembles d’une taille déshumanisante. Il est regrettable que cet investissement se fasse au détriment du développement des aménagements de peine et des peines exécutées en milieu ouvert. Il s’agit pourtant de solutions plus humaines, moins coûteuses et bien plus efficaces pour prévenir la récidive et remédier à la surpopulation carcérale.

Centre pénitentiaire de Lutterbach (en région Grand Est, près de Mulhouse), construction débutée en 2018, livraison prévue en 2021
Centre pénitentiaire de Lutterbach (en région Grand Est, près de Mulhouse), construction débutée en 2018, livraison prévue en 2021

Centre pénitentiaire de Lutterbach (en région Grand Est, près de Mulhouse), construction débutée en 2018, livraison prévue en 2021

Transformer la peine en un temps utile

Pour favoriser la réinsertion des personnes détenues et la désistance, plusieurs expérimentations lancées par l’Administration pénitentiaire voient le jour. Parmi les 7 000 nouvelles places de prison promises d’ici 2022, 2 000 s’inscrivent dans le dispositif des SAS, Structures d’Accompagnement vers la Sortie. Ces établissements accueillent entre 60 et 180 personnes condamnées à des peines inférieures à un an, ou en fin de peine. La promesse : un programme d’activités renforcé et une plus grande autonomie des résident.e.s. Autre projet qui devrait éclore en 2023 à Toul, le dispositif InSERRE – Innover par des Structures Expérimentales de Responsabilisation et de Réinsertion par l’Emploi, autrement dit des prisons accueillant chacune 180 personnes qui seront toutes inscrites dans un parcours de formation professionnelle ou exerceront un travail. Ces expérimentations sont intéressantes, mais suffiront-elles à remettre en question l’ensemble du système pénitentiaire ? Si leur taille du dispositif des SAS est moindre comparativement à la moyenne des établissements pénitentiaires, peut-on réellement assurer un accompagnement personnalisé avec une capacité aussi importante ?

Par ailleurs, la Direction de l’Administration Pénitentiaire encourage le développement du Placement à l’extérieur. Cette mesure d’aménagement de peine permet à une personne condamnée à de la prison d’exécuter tout ou partie de cette peine hors d’un établissement pénitentiaire, notamment en étant confiée à une association conventionnée avec l’Administration pénitentiaire. Aujourd’hui, environ 600 personnes sous main de justice, essentiellement en fin de peine, bénéficient de cet accompagnement dans la transition entre la prison et la liberté. L’un des exemples : les fermes Emmaüs, dont l’une a été présentée dans un blog de Inês Viterbo. Cette mesure quand elle est dispensée par des associations qui favorisent de petits groupes permet un accompagnement individualisé. On sait comment une approche personnalisée et basée sur les besoins des personnes facilite la réinsertion et le processus de désistance. Nous avons tout à gagner au développement de ce type de mesure.

On peut donc voir une forme de contradiction dans le fait que les peines alternatives soient encouragées, tout en favorisant l’extension du parc carcéral. Les efforts pour réduire la surpopulation devraient être concentrés sur le développement de mesures alternatives à l’incarcération. Lorsque le recours à la détention est nécessaire, elle devrait impérativement se réaliser dans un contexte respectueux de la dignité des personnes. Rendons la peine utile à la fois pour la personne détenue et pour la société. Replaçons la réinsertion au cœur de la peine, à travers un accompagnement individualisé, au sein de maisons de détention à petite échelle où la responsabilité de chacun.e est engagée !!

* En référence à la chanson « Another brick in the wall », du groupe Pink Floyd.

Emilie Adam
Clémence Bertin
Mélanie Bouteille


[1Loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009

[2Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, entrée en vigueur le 24 mars 2020


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