Fédération des Associations Réflexion-Action, Prison et Justice

Accès à Internet : la Cour de Strasbourg entrouvre l’accès à Internet pour les personnes incarcérées

Avril 2016


CEDH, 19 janvier 2016, Kalda c/ Estonie,req. n°17429/10


« Même si les considérations économiques et de sécurité citées par les autorités internes peuvent être considérées comme pertinentes, la Cour note que les juridictions internes n’ont effectué aucune analyse des risques pouvant prétendument survenir de l’accès aux trois sites Internet précités, étant précisé que ces sites étaient ceux d’autorités étatiques et d’une organisation internationale » (§ 53).

Si la Règle pénitentiaire européenne 24.5 précise que « Les autorités pénitentiaires doivent aider les détenus à maintenir un contact adéquat avec le monde extérieur » et si la Cour européenne a eu l’occasion de rappeler à plusieurs reprises que la privation de liberté n’entraîne pas de privation des autres droits fondamentaux (voir, inter alia, Yankov c/ Bulgarie du 11 décembre 2003 ; Donaldson c Royaume-Uni (dec.) du 25 janvier 2011), l’accès aux moyens électroniques de communication pose à ces autorités de nouveaux problèmes, qui sont au cœur de l’arrêt Kalda.

Purgeant une peine de réclusion à perpétuité, le requérant s’est vu refuser par les autorités pénitentiaires estoniennes l’accès à trois sites Internet officiels (sites du Garde des Sceaux et du Parlement estonien, et site d’information du Conseil de l’Europe). Les juridictions internes ont confirmé l’interdiction, pour des raisons de sécurité et des raisons économiques. Pour la Cour suprême estonienne (dans son arrêt du 31 mai 2007), l’accès des détenus à ces sites serait de nature à entraîner des communications prohibées, ce qui nécessiterait une surveillance accrue et des coûts supplémentaires. Ayant saisi la Cour européenne des droits de l’homme, M. Kalda a obtenu la condamnation de l’Etat pour violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (qui protège la liberté d’expression, mais aussi la liberté « de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière »). Rappelant le rôle actuel joué par Internet dans l’amélioration de la diffusion des informations en général (et notamment pour les détenus, qui ne peuvent avoir qu’en ligne accès à certains documents, comme c’est le cas pour plusieurs actes juridiques en Estonie), la Cour précise que toute détention implique également un certain nombre de restrictions concernant les modalités de communication des personnes incarcérées avec le monde extérieur. En conséquence, elle ne fait pas de l’article 10 de la Convention de 1950 la source d’un véritable droit d’accès à Internet pour les détenus (§ 45). Elle exige toutefois que toute ingérence dans le droit des détenus à recevoir des informations soit « prévu par la loi » . En outre, si le droit interne accorde l’accès à Internet, tout refus d’accès à certains sites nécessite une motivation expresse. En l’espèce, le requérant souhaitait accéder à des sites officiels, proposant des informations juridiques concernant les droits fondamentaux (qui, comme le souligne la Cour, sont utilisées par les juridictions estoniennes elles-mêmes ! ; § 50), nécessaires pour pouvoir défendre ses droits devant les juridictions internes. Balayant l’argument mis en avant par l’État de l’éventuel surcoût généré par l’accès à ces sites, les juges strasbourgeois relèvent également qu’aucune analyse sérieuse des risques qui pouvaient découler de l’accès à ceux-ci n’a été effectuée. Le refus opposé à M. Kalda d’accéder à ces trois sites ne présente donc pas les caractéristiques d’ « une ingérence nécessaire dans une société démocratique » (§ 54).

Comme cela est souvent le cas avec les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, la solution de l’arrêt Kalda dépasse le cadre strict de l’État incriminé et entraîne des répercussions particulières en droit français. On sait, en effet, que le Contrôleur général des lieux privatifs de liberté a adopté le 20 juin 2011 un avis relatif à l’accès à l’informatique des personnes détenues . Rappelant que « parmi les outils d’information et de communication de notre temps, figurent les services en ligne (…) des dispositions doivent être prises à bref délai pour que chaque établissement assure depuis ces locaux le lien avec les services en ligne (« internet »), l’administration pouvant se réserver de rendre impossible l’accès à certains d’entre eux, pour les mêmes motifs que ceux indiqués précédemment et ceux-là seulement, de manière contrôlable et identifiée » (§ 9). Cet avis n’a pas eu les effets escomptés, puisque le Rapport d’activités 2014 du Contrôleur général déplore que « plus de trois ans après l’avis rendu par le CGLPL relatif à l’accès à l’informatique des personnes détenues, nous ne pouvons que faire le constat que la question de l’accès à Internet en détention demeure entièrement et pénalise l’accès effectif à l’enseignement notamment à l’enseignement supérieur » . Un tel constat se retrouve dans le Rapport d’activités 2015, car Adeline Hazan regrette que « les règles de sécurité interdisent ou restreignent, parfois abusivement, de nombreuses mesures pourtant nécessaires à la réinsertion : l’accès à internet est quasiment toujours impossible même s’il est aujourd’hui indispensable pour accomplir certaines démarches » . Ces alertes devraient être entendues par les autorités françaises, car les lacunes actuelles du droit français ne sont certainement pas compatibles avec les exigences de la Cour européenne des droits de l’homme.

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[1C’est-à-dire par un texte suffisamment clair et accessible, ce qui était le cas en l’espèce puisque le droit estonien prévoit les modalités de restriction de l’accès à l’Internet pour les détenus.

[2JORF, 12 juillet 2011, texte 82.

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