Fédération des Associations Réflexion-Action, Prison et Justice

Les États doivent appliquer avec diligence les jugements prononçant des peines privatives de liberté

Janvier 2017


13 octobre 2016, Kitanovska Stanojkovic et autres c/ « L’ex-République yougoslave de Macédoine »req. n°2319/14


« L’exigence d’effectivité, qui inclut la mise en œuvre rapide et effective (des décisions de justice) (…) sert, entre autres, à maintenir la confiance du public dans l’application de l’Etat de droit par les autorités, à éviter toute apparence de collusion ou de tolérance des actes illégaux, et à protéger l’application effective des lois internes qui protègent le droit à la vie » (§ 27)

Si la Cour de Strasbourg s’est engagée depuis plusieurs années dans un processus de « cantonnement » de la peine privative de liberté, en cherchant à convaincre les Etats de diversifier leurs sanctions pénales et réserver le recours à la prison aux infractions les plus graves (voir, inter alia, Cour EDH, Witold Litwa c/ Pologne, 4 avril 2000, req. n° 26629/95), ce mouvement s’accompagne d’une volonté de garantir l’efficacité du recours à la prison comme le montre l’arrêt du 13 octobre 2016.

Victime en novembre 2011 d’une agression particulièrement violente à son domicile (lors de laquelle son mari a succombé à ses blessures), la première requérante a obtenu en juin 2012 la condamnation des agresseurs à six et cinq ans d’emprisonnement pour coups et blessures aggravés, condamnation confirmée en appel en novembre 2012, puis par la Cour suprême en mars 2013. Malgré ces décisions, l’un des agresseurs a continué à vivre à proximité du quartier des requérantes pendant 18 mois avant qu’il ne commence à purger sa peine. Les deux mandats de dépôt délivrés à son égard sont en effet restés sans suite, l’agresseur finissant par être arrêté et incarcéré seulement en juillet 2014.

Ayant saisi la Cour européenne des droits de l’homme pour violation du droit à la vie (article 2 de la Convention de 1950), Mme Kitanovska Stanojkovic et ses deux filles ont obtenu la condamnation de l’ « ex-République yougoslave de Macédoine » à l’unanimité. Cet article 2 constitue l’un des articles essentiels du dispositif européen, qui astreint l’Etat non seulement à « s’abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière, mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction » (voir, inter alia, Cour EDH, LCB c/ Royaume-Uni, 9 juin 1998, req. n° 23413/94, § 36). Très concrètement, à l’obligation négative de ne pas attenter à la vie s’ajoutent à la charge de l’Etat des obligations positives qui permettent de rendre effective cette disposition conventionnelle. En effet, comme le dit la Cour dans son arrêt du 13 octobre 2016, « Le respect des obligations de l’État en vertu de l’article 2 exige que le système juridique interne démontre sa capacité à faire appliquer le droit pénal contre ceux qui ont illégalement pris la vie d’un autre » (§ 26). La Cour exige qu’en cas d’atteinte au droit à la vie, les autorités nationales diligentent une enquête prompte, rapide, transparente et approfondie. Cette enquête doit conduire à l’identification et à la punition des personnes responsables, punition qui doit être de nature pénale dans les cas les plus graves (voir, inter alia, Cour EDH, Öneryıldız c/ Turquie (GC), 30 novembre 2004, req. n° 48939/99). Toutes ces exigences ont bien été respectées en l’espèce, puisque la Cour valide le déroulement du procès pénal qui a permis, dans des délais raisonnables, l’établissement des faits et l’identification des responsables de l’agression (§ 28). Mais l’arrêt Kitanovska Stanojkovic procède à une extension des obligations positives à la charge des Etats puisque la Cour juge désormais que « la notion d’enquête effective sur le terrain de l’article 2 peut également être interprétée comme imposant à l’État l’obligation d’exécuter sans retard injustifié les jugements définitifs », car « au regard du droit à la vie, l’exécution d’une peine infligée peut être considérée comme faisant partie intégrante des obligations procédurales que cette disposition fait peser sur l’État » (§ 32). Or dans cette affaire, les dysfonctionnements de la justice macédonienne (marqués par une absence de coordination entre les juges concernés et une longue absence de toute mesure d’exécution de la peine d’emprisonnement) ont abouti à un délai de 18 mois entre le prononcé de la peine privative de liberté et l’incarcération effective de la personne concernée. Même si les requérantes n’ont eu à déplorer aucun acte d’hostilité de la part de ce condamné laissé en liberté, le système mis en place dans cet Etat s’est avéré particulièrement inefficace et de nature à porter atteinte à l’article 2 de la Convention.

En affirmant le principe de la nécessité de mise en œuvre rapide des sanctions privatives de liberté, les juges de Strasbourg ont évidemment visé les droits des victimes et leur protection. Mais l’arrêt du 13 octobre 2016 est également de nature à renforcer l’efficacité des sanctions pénales, puisqu’il est depuis très longtemps acquis pour les spécialistes de droit pénal que la « certitude » de la peine (et notamment sa mise en œuvre rapide) constitue l’un des éléments de son efficacité.

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