Fédération des Associations Réflexion-Action, Prison et Justice

Se conformant à l’arrêt pilote TORREGIANI, l’Italie adopte des mesures visant à lutter contre le surpeuplement carcéral

Novembre 2014 (1)

Appréciant « … les résultats significatifs obtenus jusqu’à présent grâce aux efforts considérables déployés par les autorités italiennes à plusieurs niveaux », la Cour « constate que le problème du surpeuplement carcéral en Italie, bien que persistant, présente aujourd’hui des proportions moins dramatiques » et incite « l’État défendeur à confirmer cette tendance positive en poursuivant les efforts menés jusqu’à présent dans le but de résoudre définitivement le problème litigieux et de garantir à chaque détenu des conditions de vie compatibles avec les principes de la Convention » (§ 55)

Depuis l’arrêt Broniowski c/ Pologne du 22 juin 2004, la Cour européenne des droits de l’homme a cherché tout à la fois à renforcer les effets de ses décisions et éviter les arrêts « répétitifs » en mettant en place la technique dite des « arrêts pilotes » . Il s’agit ici d’indiquer à un Etat quelles mesures il doit prendre, dans un délai préfixé, afin d’éviter nouvelles saisines et nouvelles condamnations par la Cour de Strasbourg. C’est cette technique qui a été utilisée dans l’arrêt Torregiani et a. c/ Italie du 8 janvier 2013. Saisie par différents détenus ayant été incarcérés collectivement plusieurs mois dans de petites cellules, la Cour avait considéré qu’ils n’avaient pas bénéficié d’un espace de vie conforme aux critères qu’elle juge acceptables. Elle avait donc logiquement condamné l’Italie pour une violation de l’article 3, en raison de conditions de détention ayant soumis les requérants à une épreuve d’une intensité excédant le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention. Mais au-delà de la condamnation, la Cour avait invité l’Italie à trouver au plan interne une solution aux nombreuses affaires individuelles nées du même problème structurel de surpopulation carcérale (plusieurs centaines de requêtes pendantes devant la Cour ayant trait à des problèmes comparables). Tout en indiquant qu’elle ne souhaitait pas dicter à l’Etat « sa politique pénale et l’organisation de son système pénitentiaire » (§ 95), la Cour avait très concrètement invité le gouvernement italien à limiter les situations de détention avant jugement et à instaurer, dans le délai d’un an, un recours interne permettant d’offrir un redressement adéquat et suffisant dans les cas de surpeuplement carcéral (suspendant en conséquence l’examen des 3 500 requêtes ayant pour unique objet le surpeuplement carcéral en Italie).

Cet arrêt n’a pas tardé à produire des effets, puisque l’Italie, par plusieurs lois les 9 août 2013, 21 février, 28 avril et 16 mai 2014, a adopté des mesures d’envergure, prévoyant tout à la fois la construction de nouveaux bâtiments et une meilleure répartition des détenus, l’accroissement des réductions de peine pour bonne conduite, l’augmentation des mesures alternatives à la détention, l’institution d’un médiateur national des personnes détenues (comparable au Contrôleur général des lieux de privation de liberté mis en place en France en 2009), la refonte des sanctions applicables aux délits mineurs (notamment en ce qui concerne la répression des infractions à la législation sur les stupéfiants), l’accroissement de la liberté de mouvement des détenus en dehors de leurs cellules, un accès plus facile au travail et une augmentation des visites familiales, la mise en place d’un système informatique de gestion en temps réel des places en établissement. Conformément aux préconisations de l’arrêt Torregiani et a., l’Italie a également renforcé les voies de recours internes (décrets-lois no 146/2013 et 92/2014), en prévoyant que tout détenu peut désormais présenter devant le juge de l’application des peines une réclamation portant sur le non-respect par l’administration des dispositions de la loi pénitentiaire entraînant une atteinte grave à l’exercice de ses droits, dont le droit à disposer d’un espace vital suffisant et à bénéficier de conditions matérielles de vie convenables. Ce juge peut désormais accorder à titre compensatoire une réduction de la peine à purger correspondant à un jour pour dix jours de détention dans des conditions inhumaines ou dégradantes. Ces progrès sont relevés par la Cour de Strasbourg , qui se félicite « de l’engagement de l’État défendeur » et apprécie « les résultats significatifs obtenus jusqu’à présent grâce aux efforts considérables déployés par les autorités italiennes à plusieurs niveaux, et constate que le problème du surpeuplement carcéral en Italie, bien que persistant, présente aujourd’hui des proportions moins dramatiques » (§ 54 de l’arrêt Stella). Ayant examiné les nouvelles voies de recours individuel instaurées par l’État italien, la Cour en conclut qu’elle ne dispose d’aucun élément qui lui permettrait de dire que ces recours ne présentent pas, en principe, des perspectives de redressement approprié des griefs tirés de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention de 1950 et rejette donc le grief formulé par les requérants.

Les arrêts Torregiani et a. et Stella et Rexhepi et a. montrent que l’arrêt pilote peut constituer un outil efficace permettant de mieux faire appliquer les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, tout en respectant le principe de subsidiarité qui est à la base du système européen de protection des droits de l’homme . Mais on ne doit jamais perdre de vue que l’efficacité de cette technique nécessite une collaboration loyale et constructive de l’État concerné, sans laquelle l’arrêt pilote s’avère inefficace, voire contre-productif. Ainsi en est-il célèbre arrêt de Grande chambre Hirst c/ Royaume-Uni (n° 2) du 6 octobre 2005, par lequel la Cour avait jugé que le refus par cet Etat d’accorder le droit de vote aux détenus constituait une violation de la Convention européenne des droits de l’homme (plus spécifiquement de l’article 3 du Protocole n° 1 qui consacre le droit à des élections libres). Loin de provoquer une transformation du droit interne, cette décision n’a pour l’instant abouti qu’à renforcer encore un peu plus les positions anti-européennes et populistes au Royaume-Uni.

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[1Voir la fiche d’information ’les arrêts pilotes’ : http://www.echr.coe.int/Documents/FS_Pilot_judgments_FRA.pdf. En février 2011, la Cour a modifié l’art. 61 de son règlement, afin de clarifier l’application de la procédure de l’arrêt pilote dans les situations de violations systémiques ou structurelles potentielles des droits de l’homme.

[2Comme l’avait déjà fait le Comité des ministres du Conseil de l’Europe dans sa décision du 5 juin 2014. Voir le § 25 de l’arrêt Stella.

[3Principe rappelé par la Cour dans l’arrêt Stella : « …le principe de subsidiarité est à la base du système de la Convention. Les États n’ont pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de faire redresser dans leur ordre juridique interne les manquements dénoncés » (§ 64).

[4Ce qui a amené la Cour, dans les affaires Greens et M.T. du 23 novembre 2010 à rappeler fermement que les États ont l’obligation de mettre en œuvre, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures individuelles ou générales appropriées pour garantir le droit dont elle a constaté une violation. Elle a alors imposé au Royaume-Uni un délai de six mois, à compter du jour où l’arrêt est devenu définitif, pour déposer un projet de loi visant à organiser le vote des détenus… Devant l’inaction des autorités, elle a décidé le 24 septembre 2013 de ne plus ajourner la procédure dans les 2 281 requêtes similaires pendantes devant elle et de les examiner en temps utile.

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