Fédération des Associations Réflexion-Action, Prison et Justice

Chronique Côté CourEDH - juin 2020

Isolement

La Cour de Strasbourg confirme ses principes en matière d’isolement carcéral

• Cour EDH, 14 mai 2020, Astruc c/ France (dec.), req. no 5499/15

« L’isolement n’est pas, en soi, contraire à l’article 3 de la Convention. La compatibilité d’une mesure d’isolement s’apprécie en fonction de sa durée, de sa rigueur, de l’objectif qu’elle poursuit et de son effet sur la personne détenue » (§ 42).

Détenu à la maison d’arrêt de Fresnes, le requérant a fait l’objet de plusieurs informations judiciaires ouvertes dans le cadre de fraudes à la taxe carbone, pour lesquelles il a été finalement condamné à 9 ans de prison (qu’il n’a jamais purgés, étant en fuite depuis sa remise en liberté sous contrôle judiciaire…). Lors de sa détention, il a été placé à l’isolement à titre provisoire pour avoir été trouvé en possession de plusieurs objets interdits (produits d’hygiène corporelle, corbeille à pain, housse de couette). Il a tenté, en vain de contester cette mesure devant le juge des référés. Le requérant fut ensuite admis à l’unité psychiatrique d’hospitalisation (UHP), puis placé à l’isolement médical durant quarante-huit heures. Isolé à nouveau à son retour en détention, il a été condamné à un confinement en cellule d’une durée de sept jours en raison de la saisie d’une clé USB dans sa cellule, objet qui ne pouvait être acheté en prison. Le directeur du centre pénitentiaire lèvera la mesure d’isolement avant le terme prévu, estimant que le détenu ne présentait plus de danger pour la sécurité de l’établissement. N’ayant pu obtenir satisfaction devant les juridictions administratives internes, M. Astruc a saisi la Cour européenne des droits de l’homme, en alléguant que son maintien en isolement après une hospitalisation avait constitué un traitement inhumain et dégradant, car les autorités n’auraient pas suffisamment pris en compte son état de santé au moment de décider du maintien de l’isolement.

En droit français (art. 726-1 et R. 57-7-62 CPP), l’isolement carcéral ne constitue pas une sanction disciplinaire [1], mais une « mesure de précaution et de sécurité » (appelée parfois isolement à titre préventif). Prise d’office par le directeur de l’établissement ou sur demande de la personne détenue, elle peut être décidée pour une durée de trois mois renouvelables (pour une durée maximum de deux ans, sauf prolongation « à titre exceptionnel »). Si le détenu conserve ses droits à l’information, aux visites, à la correspondance écrite et téléphonique, à l’exercice du culte, à l’utilisation de son compte nominatif et à au moins une heure de promenade à l’air libre, il est toutefois privé des activités organisées de manière collective, sauf autorisation spécifique du directeur de l’établissement. La mise à l’isolement est entourée d’un certain nombre de garanties : la décision initiale, comme les prolongations doivent tenir « compte de la personnalité de la personne détenue, de sa dangerosité ou de sa vulnérabilité particulière, et de son état de santé » (art. R. 57-7-73 CPP). Le médecin intervenant dans l’établissement doit, par ailleurs, donner son avis préalablement à toute mesure de renouvellement de la mesure au-delà de six mois (idem). Le médecin doit aussi examiner toute personne placée à l’isolement au moins deux fois par semaine, et même davantage si nécessaire. Ce médecin peut émettre un avis sur l’opportunité de mettre fin à l’isolement (art. R. 57-7-63 CPP). Au-delà de l’aspect strictement juridique, de nombreuses études ont pointé les risques que peut faire peser un isolement de longue durée sur la santé mentale des personnes qui y sont soumises, cette mesure étant parfois qualifiée de « torture blanche ». Ainsi Rédoine Faïd, présentait à la fin de l’année dernière l’isolement auquel il était soumis au centre pénitentiaire de Vendin le Vieil comme une mesure « d’exclusion totale : une vie de paria, de rebut de la société », dans laquelle on est « emmuré vivant » et où l’on « survit hors du temps » [2].

La Commission européenne a depuis longtemps fixé les lignes directrices de la jurisprudence européenne à propos de l’isolement carcéral en particulier dans sa décision du 8 juillet 1978 dans les requêtes Ensslin, Baader et Raspe c. Allemagne : si l’isolement cellulaire prolongé n’est « guère souhaitable, surtout lorsque la personne est en détention préventive », il ne s’agit pas en soi d’une mesure contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (qui prohibe la torture ainsi que les traitements inhumains et dégradants). Toutefois, « un isolement sensoriel doublé d’un isolement social absolus peut aboutir à une destruction de la personnalité ; il constitue ainsi une forme de traitement inhumain que ne sauraient justifier les exigences de sécurité ». De même dans son célèbre arrêt de Grande Chambre Ramirez Sanchez c/ France du 4 juillet 2006 (qui concernait le terroriste Carlos) la Cour de Strasbourg a jugé que même une mesure d’isolement de longue durée (en l’occurrence presque 5 ans) respecte les exigences conventionnelles si elle est motivée « par la dangerosité du requérant, la nécessité de maintenir l’ordre et la sécurité dans l’établissement et le risque d’évasion d’un établissement » (§ 137). Toute décision de placement à l’isolement ou de sa prolongation doit cependant être motivée « de manière substantielle » (et « au fil du temps, de plus en plus approfondie et convaincante ») afin d’éviter « tout risque d’arbitraire » et faire l’objet d’un « examen évolutif des circonstances, de la situation et de la conduite du détenu » (§ 139). Celui-ci doit pouvoir bénéficier de garanties procédurales. La Grande Chambre a également précisé que l’isolement ne peut être une mesure indéfinie et qu’il « serait souhaitable que des solutions alternatives (…) soient recherchées pour les individus considérés comme dangereux et pour lesquels une détention dans une prison ordinaire et dans des conditions normales est considérée comme inappropriée » (§ 146).

Ce sont ces principes qui sont mis en application dans la décision Astruc. Tout en relevant que les produits saisis dans la cellule du requérant ne présentaient pas de dangerosité particulière, les juges strasbourgeois précisent que « l’administration pénitentiaire a fondé sa décision sur son profil pénal et ses capacités financières importantes lui permettant d’obtenir des services de personnes extérieures, venant ainsi troubler l’ordre public en détention » : le placement à l’isolement « visait en particulier à clarifier comment le requérant se procurait les objets et produits non autorisés en détention et à empêcher la réitération des faits » (§ 43). Par ailleurs, les pièces qu’il a fournies n’ont pas démontré que son état de santé (qui « a fait l’objet d’un suivi très régulier par les équipes soignantes », § 46) ne nécessitait ni une évaluation de son aptitude à être placé à l’isolement après sa sortie de l’UHP, ni l’interruption de la période d’isolement. En conclusion, « le requérant a été placé dans un isolement partiel et relatif justifié par des raisons de sécurité et compatible avec son état de santé, lequel a fait l’objet d’une surveillance médicale, que sa situation a régulièrement été réexaminée et qu’il a bénéficié des garanties procédurales nécessaires permettant de préserver la procédure de l’arbitraire ». La violation de l’article 3 de la Convention n’est donc pas reconnue.

La décision Astruc confirme donc que le contrôle opéré par les juges de Strasbourg concernant l’isolement carcéral reste d’intensité très réduite, puisque la mention de la dangerosité d’un détenu, ou la volonté de maintenir l’ordre dans un établissement sont des motifs permettant de valider un isolement même parfois de longue durée. On peut également s’étonner de l’absence de véritable discussion au fond concernant les garanties procédurales ouvertes au requérant, qui a pu effectivement saisir le juge administratif dans le cadre d’un référé liberté mais qui s’est vu opposer une irrecevabilité, car les juges administratifs ne considéraient pas, à l’époque, que l’exécution d’une décision de placement à l’isolement d’un détenu traduisait, par elle-même, l’existence d’une situation d’urgence. Ce n’est, en effet, que depuis une ordonnance de référé du Conseil d’Etat du 7 juin 2019, que le juge administratif estime que les décisions de placement ou de maintien à l’isolement font naître cette présomption d’urgence, mais qui reste toutefois limitée aux seuls référés suspension. Dans une ordonnance du 20 novembre 2019, cette même juridiction a, en effet, jugé que la notion d’urgence ne s’applique pas dans le cadre d’un référé liberté. Cette dissociation des exigences dans le contentieux de l’urgence se comprend mal et ne semble pas de nature à présenter les caractéristiques d’un « recours effectif » comme l’exige pourtant l’article 13 de la Convention de 1950.

Pour citer cet article

Jean-Manuel Larralde, Chronique côté Cour EDH [En ligne], juin 2020.
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Auteur

Jean-Manuel Larralde
Professeur de droit public à l’Université de Caen-Normandie, Centre de recherches sur les droits fondamentaux et les évolutions du droit (EA 2132).
Voir la présentation de l’auteur sur le site de l’UFR Droit et Sciences Politiques de Caen.

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[1L’art. R 57-7-33 CPP prévoit parmi les sanctions disciplinaires le « confinement en cellule individuelle ordinaire assorti, le cas échéant, de la privation de tout appareil acheté ou loué par l’intermédiaire de l’administration pendant la durée de l’exécution de la sanction ». Sa durée est de sept à vingt jours.

[2« À l’isolement carcéral, Redoine Faïd décrit « une vie de paria » », Le Point, 27 octobre 2019.

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