Fédération des Associations Réflexion-Action, Prison et Justice

Conférence de consensus de prévention de la récidive : contribution de la FARAPEJ

janvier 2013

Réponse de la FARAPEJ au questionnaire en vue de l’audition du 7/12/2012 par le comité d’organisation de la Conférence de consensus sur la prévention de la récidive

Remarque liminaire. Ce document constitue une réponse au questionnaire transmis par le comité d’organi- sation de la conférence de consensus en vue de l’audition de la FARAPEJ en date du 7/12/2012. Une contribution spécifique sera transmise au comité d’organisation après l’audition tenant compte des ques- tions et échanges qui auront eu lieu lors de cette audition.

En effet, si ce document s’organise sous forme de réponses au questionnaire, il nous a été bien difficile d’entrer dans ce schéma assez contraignant et où, dès la première question, de nombreuses autres questions semblent avoir été tranchées sans même avoir été examinées.

D’abord, est-il opportun de s’interroger sur la récidive ? La baisse de la récidive peut-elle constituer un objectif que l’on se donnerait, de sorte qu’il n’y aurait plus qu’à rechercher les meilleurs moyens ? La récidive est un marqueur, un indicateur : une baisse de la récidive, sera l’un des signes d’une bonne politique pénale. Mais se donner un marqueur comme objectif fausse tout parce que la distinction entre « ce qui marche » et « ce qui ne marche pas » se fait alors non pas en fonction de la réalité, mais en fonction des seuls résultats.
Une appréhension de la récidive à partir de sa simple réduction ne peut mener qu’à des pratiques comportementalistes. On ne fonde pas une politique sur une technique, même efficace.
Il nous semblerait beaucoup plus intéressant de s’interroger sur la « désistance ». Se demander non pas ce qui provoque la récidive et ce qui permet de la diminuer – mais comment on sort de la délinquance et ce qui favorise (ou empêche) cette sortie. Cette perspective complexifie la question et permet de concevoir des réponses bien plus diverses et adaptée (par exemple par la prise en compte du fait que la sortie de la délinquance peut se faire progressivement, avec une baisse d’intensité de cette délinquance, ou alors par la reconnaissance de l’importance du contexte familial dans cette désistance, ou encore en permettant de valoriser des pratiques soutenant la personnes dans son processus désistant).

1- L’état des connaissances sur la prévention de la récidive vous paraît-il suffisant ? Si oui, que pensez-vous de la manière dont ces connaissances sont diffusées/ utilisées dans votre milieu professionnel ou associatif ? Sinon, que préconisez-vous pour améliorer les connaissances et pour assurer leur diffusion/ utilisation ?

Pour commencer, il nous semble important de distinguer les connaissances sur le phénomène de la récidive des connaissances sur la prévention de la récidive ou plutôt, comme indiqué dans la remarque liminaire, sur ce qui favorise le processus de sortie de la délinquance ou désistance.
Concernant les connaissances sur la récidive, il nous semble qu’il existe une longue tradition de re- cherches et d’études ainsi qu’une littérature conséquente et que les connaissances disponibles sont satisfaisantes (voir notamment les nombreux articles de Tournier et les recherches qu’il a dirigées ainsi que la ré - cente étude de Kensey et Benouada). La situation est cependant tout autre en ce qui concerne la désis- tance : les recherches françaises sont en la matière trop peu nombreuses et ont débuté récemment, à la suite de la publication d’articles anglo-saxons sur le sujet dans AJ Pénal (septembre 2010) sous l’impulsion de Martine Herzog Evans, à la suite duquel ont eu lieu quelques publications récentes.
La diffusion des connaissances sur la récidive et la désistance est globalement insatisfaisante tant on lit et entend souvent des affirmations farfelues aussi bien lors de discussions de comptoirs que lors de certains débats parlementaires : même lorsque l’information est disponible, celle-ci n’est pas forcément assimilée ce qui nous semble renvoyer à la fois à un défaut de culture dans les disciplines de la statistique, la pénologie et la sociologie (ou plus simplement dans le champ criminologique). On notera par ailleurs, ce qui va dans le même sens, qu’alors que les Règles Pénitentiaires Européennes (RPE) ont été largement diffusées en France, les Règles Européennes sur la Probation (REP) n’ont pas bénéficié de la même promotion.

L’essentiel des travaux sur la désistance et sur ce qui marche pour favoriser les sorties de la délinquance, sont issus de la recherche universitaire anglo-saxonne. Malheureusement ces travaux ont été menés dans des pays où le consensus social n’est pas tout à fait placé comme il l’est ailleurs, en particulier en France ; d’autre part le modèle néo-libéral y est encore plus implanté que chez nous, les hommes étant perçus en êtres rationnels agissant en fonction de leur intérêt particulier, et par conséquent sensibles aux récompenses et aux punitions. Ce modèle présuppose également que nous savons, nous les honnêtes gens, comment il faut vivre, de sorte que tout délit ou crime apparaît comme un manquement moral.
Les connaissances élaborées dans ces recherches anglo-saxonnes, notamment en matière de bonnes pratiques, nécessitent donc d’être évaluées à l’aune de la situation française pour savoir ce qui peut être mis en œuvre efficacement dans notre pays : on a beaucoup à apprendre du « what works », de se poser la question « will it work in France ? ».

Concernant la FARAPEJ, diverses actions contribuent à la diffusion et l’appropriation de ces connaissances dans notre réseau et plus largement le milieu associatif, mais aussi auprès du grand public :

  • formation des associations (par exemple, le 11/12 aura lieu une formation animée par Pierre-Victor Tournier sur les chiffres du champ pénal et notamment les questions ayant trait à la récidive) ;
  • invitation par la FARAPEJ d’Annie Kensey à présenter l’étude de 2011 lors du colloque FARAPEJ organisé à l’ENM le 15 octobre 2011 ainsi que devant le Groupe National de Concertation Prison (groupe d’associations nationales à l’initiative des Journées Nationales Prison) ;
  • Lors des Journées Nationales Prison (JNP), les études sur la récidive sont souvent abordées, en- core lors des JNP 2012 sur la limitation du recours à l’incarcération et les sanctions non-carcérales ;
  • Mise en place d’un centre associatif de ressources et de documentation sur le question prison et justice au premier semestre 2013 ;
  • Soirée de réflexion organisée avec Norman Bishop le 8 octobre 2012 sur les questions d’expression collective et de désistance ;
  • Tout récemment, la FARAPEJ a été contactée pour participer à une recherche pilotée par Martine Herzog Evans sur 2013-2014 sur la participation des associations dans l’accompagnement des sor - tants de prison et des personnes suivies en milieu ouvert.

Préconisations :

  • Soutenir les recherches sur le processus de désistance dans le contexte français sous deux types de recherches : (i) recherches théoriques générales sur le processus de désistance et (ii) études qui s’inscriraient dans des recherches-actions, soit en lien avec des SPIP, soit en lien avec des associa- tions pour la dimension post-pénale ;
  • Diffusion des REP ;
  • Clarification quant au fait que la prévention de la récidive se doit d’être plutôt un indicateur qu’un ob- jectif et qu’il est plus pertinent d’adopter les concepts de sortie de la délinquance qui permettent de mieux cerner les situations et parcours des personnes et qui permettent de soutenir ces démarches.

2 - De quels éléments d’information disposez-vous sur les facteurs qui diminuent le risque de récidive ou au contraire l’aggravent ? (facteurs personnels, familiaux, économiques, sociaux, géographiques, psychologiques, psychiatriques, sanitaires, impact des addictions… en distinguant suivant le type et la gravité des infractions)

Les éléments mentionnés dans la question reprennent les principaux facteurs qu’on trouve dans la littérature sur la désistance. L’expérience de la FARAPEJ (purement empirique et qui n’a pas bénéficier d’une évaluation rigoureuse) semble confirmer ces constats, notamment concernant l’importance des fac- teurs familiaux, professionnels, des questions liées au logement et plus largement liées à la précarité. Les questions géographies peuvent se révéler très importantes notamment en matière de retour à l’emploi, en particulier dans le cadre de sorties aménagées.
On constate également qu’une sanction pénale inadéquate (sanction inadaptée aux problématiques du condamnées, trop sévère ou encore non comprise), peut, dans certains cas, être un véritable obstacle à la sortie de la délinquance .
En revanche la « labellisation » et la « délabellisation », c’est-à-dire la possibilité de se penser soi- même, de se percevoir soi-même, autrement qu’en porteur du label « délinquant » nous semblent jouer un rôle considérable, aussi bien pendant le temps de l’incarcération (à quelle condition une personne peut-elle se réinventer durant sa détention) qu’après la libération. L’influence de l’environnement humain sur ce processus est décisive.

L’une des richesses de l’approche « sortir de la délinquance » tient au fait qu’on peut alors pleinement assumer la nécessité de soutenir une démarche de sortie de la délinquance, démarche englobant les divers facteurs mentionnés ci-dessous et à laquelle on se réfère sous l’appellation d’accompagnement.

Une réserve cependant concernant les approches anglo-saxonnes : l’importance qu’elles accordent aux théories comportementalistes qui nous laissent plus que sceptiques.

3 - Quelles sont selon vous (i) Les schémas d’orientation des procédures au niveau du procureur de la République (ii) les types de sanction et/ou (iii) les pratiques professionnelles qui sont les plus à même de favoriser la prévention de la récidive ? Précisez sur quels éléments d’évaluation scientifique ou empirique vous vous fondez. Quels freins, d’ordre juridique ou pratique observez-vous à leur mise en place ?
et
4 - Quels sont, dans votre milieu professionnel ou associatif les points qui font consensus sur les facteurs de risque ou de protection, s’agissant de la récidive ? Quelles sont les bonnes pratiques professionnelles que vous avez mises en place afin de prévenir la récidive ? Quels sont les points dans vos pratiques professionnelles qui vous paraissent perfectibles ?

En termes de facteurs positifs, nous identifions les éléments suivants :

  • Tout ce qui permet d’avoir une meilleure connaissance de la personne que l’on va juger : enquêtes sociales, … à ce titre, il faut éviter les procédures de jugements accélérées qui ne sont pas adaptées pour cela (notamment comparution immédiate, grand facteur d’entrée en détention pour des in- fractions qui correspondent aux plus forts taux de récidive) ;
  • Sanctions non-carcérales (SME, TIG, …) qui permettent d’éviter le caractère désocialisant de la pri- son et permettent d’inscrire la personne dans une dynamique positive (intérêt général, actions au- près d’associations, formation, prise en charge de problématiques personnelles, …) ;
  • En détention : toutes démarches permettant de donner de l’autonomie aux personnes détenues, de maintenir un lien avec l’extérieur, en particulier avec la famille et les proches (sauf éventuellement cas spécifiques en lien avec l’infraction et la conduite délinquante), de faire des choses utiles (pour soi, pour les autres) pendant la détention, tout ce qui permet de se préparer à la sortie. Le temps et l’espace carcéraux sont cruciaux ;
  • Au moment de la sortie : tout ce qui permet de maintenir la continuité des prises en charge au mo- ment de la sortie, anticipation des démarches pour les prestations sociales, pour avoir un logement, etc. ;
  • Tout ce qui contribue à des libérations aménagées et accompagnées.

La prise en compte de la récidive au moment du procès, du choix de la sanction et de l’aménagement des peines mérite une attention particulière. Contrairement à ce que notre oreille nous laisse entendre, sévérité de la sanction ne rime pas nécessairement avec efficacité, en particulier en matière de récidive.
L’important n’est pas tant que la justice soit plus sévère avec les personnes en récidive, mais qu’elle dispose de plus de moyens pour s’atteler à ce problème, à des moyens plus adaptée ; c’est le sens qu’il faut donner au fait que le juge dispose d’un éventail des peines plus large en cas de récidive légale. Dans ce sens, il nous semble que tout ce qui limite la capacité du juge à prononcer une sanction (ou un aménage- ment de la peine) adéquate, en particulier en matière de récidive, est très néfaste. À ce titre, les peines planchers (mais également les limitations d’accès aux aménagements des peines pour les récidivistes) sont l’exemple même de la mesure qui semble de bon sens mais va dans le mauvais sens. Pourquoi ne pas ré - fléchir également à des possibilités de mettre en œuvre des dispositifs sociaux (et pénitentiaires) renforcés en matière d’accompagnement, disposant de plus de moyens ?

Plus largement, les éléments suivants aggravent selon nous les risques de récidive :

  • Au moment du jugement : recours trop fréquent à l’incarcération qui devrait être réservée aux seules infractions les plus graves, manque d’explication de la peine
  • En détention : Conditions de détention dégradées, non respect de la dignité des personnes, manque d’actions de préparation à la sortie, mise en péril des liens avec l’extérieur (liens familiaux et sociaux en particulier), manque de possibilité de travail et de formation, plus largement les activi - tés proposées sont largement insuffisantes.
  • Après la sortie : précarisation des sortants, manque de perspective de logement ou d’hébergement, délais avant de bénéficier de prestations sociales, ruptures dans les prises en charge sanitaires et sociales.

Concernant les bonnes pratiques dans le réseau FARAPEJ, il ne nous est pas possible de présenter ce qui est développé « afin de prévenir la récidive » car ce n’est pas notre perspective ; en revanche, de nom- breuses actions qui y contribuent : actions de maintien du lien familial, accompagnement des sortants (hé- bergement, formation professionnelle, chantiers d’insertion, accompagnement dans la recherche d’emploi,…), accès aux droits (notamment en détention), accompagnement pendant la détention (visite aux per- sonnes détenues, soutien aux personnes détenues en grande pauvreté, activités en détention), actions qui contribuent notamment au processus de délabellisation, en renvoyant aux personnes détenues d’autres images d’elles-mêmes que celle du délinquant, elle contribuent à permettre à la personne détenue de se ré- inventer.

5 - Quelles sont, selon vous, les réformes juridiques ou organisationnelles (ex : réponses pénales, programmes, ressources, organisation du travail, formations, partenariats) susceptibles d’améliorer l’efficacité des réponses pénales en termes de prévention de la récidive ? Parmi celles-ci, laquelle vous semble la plus importante ?

Avant d’aborder les réformes que nous proposons, il nous semble important de souligner que les crimes et les délits sont des atteintes à la communauté politique, c’est-à-dire des atteintes au bien commun en tant qu’il ne dépend pas des contrats que nous passons les uns avec les autres, mais de l’espace inaliénable ouvert par l’État de droit. Les crimes et les délits sont, à cet égard, producteurs de droit : ils apprennent à la communauté politique ce qu’elle refuse.
C’est à ce titre que doivent être appréhendées les personnes délinquantes (elles-mêmes productrices de droit jusque dans l’exécution de leur peine) selon deux aspects distincts par essence.
En tant qu’infracteur, le délinquant ou le criminel ne peut que subir une sanction pénale, réaction de la communauté politique. Elle n’a pas d’autre fin que d’être cette réaction, témoignant de la sensibilité de la communauté politique aux actes qu’elle réprouve. Il faut veiller à ce qu’elle existe mais aussi à ce qu’elle n’empêche pas le deuxième aspect.
En tant que politiquement vif, et par conséquent orientable vers la désistance, l’infracteur doit être mis aux prises avec des personnels qui ne soient ni des éducateurs, ni des criminologues, ni des techniciens du comportement obéissant – mais des répondants. Un répondant ayant trois caractéristiques : 1°) Il se tient à la hauteur ; 2°) Il a autorité et exerce un contrôle ; 3°) Il comprend ce que le délinquant a trop bien compris à travers son acte, afin de lui offrir un mode de prise susceptible de lui permettre d’accéder à une autre compréhension de lui-même, à un autre « label ». Ce qui, assurément, demande aussi une formation enveloppant d’ailleurs la pédagogie et la criminologie.

Concernant les réformes que nous préconisons, nous les classerons en plusieurs grandes catégories :

  1. Procès et prononcé des sanctions pénal : réduire le recours à la comparution immédiate, scission du procès pénal, prise en compte intelligente de la récidive dans le prononcé de la peine et l’amé- nagement de la peine, ... ;
  2. Faire que la prison cesse d’être le pilier de la justice pénale : développement d’une peine de proba- tion/CPC, généralisation de la LC par un système d’octroi d’office aux 2/3 de peine (avec étude sys - tématique à mi-peine) et développement de possibilités d’accompagnement social des condamnés en aménagement de peine et plus largement des condamnées en milieu ouvert ;
  3. Donner sens et consistance à la peine d’emprisonnement : expression collective, prise en compte de la dignité des personnes, s’appuyer sur des occasions de bifurcation de sorte que, une fois cette bifurcation de parcours engagée, la personne puisse être soutenue dans ce processus. maintenir
    un lien avec l’extérieur (en particulier avec la famille et les proches), favoriser ce qui permet de maintenir la continuité des prises en charge au moment de la sortie, anticipation des démarches pour les prestations sociales, pour avoir un logement, etc.

Documents à télécharger

  Contribution de la FARAPEJ - Conférence de consensus

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