Fédération des Associations Réflexion-Action, Prison et Justice

Droit à mourir dans la dignité pour les détenus souffrant de maladies graves

Janvier 2018


28 novembre 2017, Dorneanu c/ Roumanie req. n°55089/13

« (…) pendant les derniers stades de la maladie, où plus aucun espoir de rémission n’est permis, le stress inhérent à la vie en milieu carcéral peut avoir des répercussions sur l’espérance de vie et sur l’état de santé du détenu » (§ 93).

Depuis une quinzaine d’années, la Cour de Strasbourg a développé une jurisprudence concernant les soins en détention dont le contenu est aujourd’hui connu. Exigeant depuis l’arrêt Kudla c/ Pologne du 26 octobre 2000 qu’ « eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier (soient) assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis (…) » (§ 94), elle impose une prise en charge sanitaire conforme aux besoins des personnes incarcérées, qu’il s’agisse d’examens (par exemple ophtalmiques, Xiros c/ Grèce, 9 septembre 2010) ou de soins (pour un tuberculeux, Hummatov c/ Azerbaïdjan, 29 novembre 2007 ; un séropositif, Kats et a. c/ Ukraine, 18 décembre 2008 ; un cancéreux, Gülay Cetin c/ Turquie, 5 mars 2103 ; ou encore un diabétique, Nogin c/ Russie, 15 janvier 2015…). Tout en refusant de déduire de ces exigences une obligation générale de libérer un détenu pour motifs de santé (Mouisel c/ France, 14 novembre 2002), les juges strasbourgeois précisent cependant que « que, dans des conditions particulièrement graves, (on peut) se trouver en présence de situations où une bonne administration de la justice pénale exige que des mesures de nature humanitaire soient prises », c’est-à-dire une libération pour raisons de santé.
C’est cette dernière exigence qui est rappelée dans l’arrêt du 28 novembre 2017 (§ 80). Condamné à une peine de prison de 3 ans et 4 mois, alors qu’il souffrait d’un cancer de la prostate à un stade avancé, M. Dorneanu ne put obtenir l’interruption de sa peine et il finit par décéder après onze mois de détention. Cette situation revêt aux yeux de la Cour un caractère inhumain, violant l’article 3 de la Convention (qui prohibe la torture, ainsi que les traitements inhumains et dégradants) à plusieurs égards. D’une part, une détention dans des cellules surpeuplées n’est nullement adaptée à la condition d’une personne dont les capacités physiques déclinent constamment (à la fin de sa vie, le requérant, devenu sourd et aveugle, souffrait d’intenses douleurs osseuses). D’autre part, les soins dispensés à l’intéressé ont entraîné au total vingt-quatre transferts, d’une distance excédant parfois une centaine de kilomètres, qui ont eu, aux yeux de la Cour, « des conséquences néfastes sur son bien-être » et qui ont été « de nature à créer et à exacerber chez lui des sentiments d’angoisse quant à son adaptation dans les différents lieux de détention, à la mise en œuvre du protocole médical du traitement et au maintien de contacts avec sa famille » (§ 90). Il est au contraire « souhaitable d’épargner aux détenus malades des trajets très longs et pénibles » (§ 92), un regroupement des lieux de soin permettant d’épargner « un certain nombre de transferts ou, du moins, d’en limiter le nombre et les conséquences préjudiciables pour le bien-être du malade » (§ 93). Enfin – et surtout – la Cour relève que malgré son état de santé critique, M. Dorneanu n’a fait l’objet, tant de la part de l’administration pénitentiaire que des juridictions, que de peu de considération. En refusant sa libération, les autorités ont privilégié « les formalités plutôt que les considérations humanitaires et (…) elles ont ainsi empêché le requérant, alors mourant, de vivre ses derniers jours dans la dignité » (§ 97).
Cette dernière partie de l’arrêt doit être lue avec attention par les juges de l’application des peines français. On sait en effet que depuis la loi du 4 mars 2002 (loi Kouchner, art. 720-1-1 CPP), il est possible d’obtenir, pour les détenus gravement malades dont le pronostic vital est engagé (ou dont l’état de santé physique ou mentale est durablement incompatible avec le maintien en détention), une suspension de peine afin de bénéficier de soins plus adaptés et de vivre leur fin de vie ailleurs qu’en prison. L’application très stricte de cette disposition par les juges français (qui vérifient notamment l’absence de risque grave de renouvellement de l’infraction) ne semble guère conforme aux exigences de la Cour de Strasbourg, pour qui les prisons ne peuvent être considérées comme des lieux où l’on meurt dans la dignité.

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